Mardi 23 novembre 2066 : Aurélien, Contrôle de l'eau

Demain matin, je vais faire la visite de quelques particuliers du village qui collectent l’eau de pluie. Mon intervention est simple. Je contrôle le filtrage de l’eau, les installations de collecte. Je réalise un prélèvement d’eau pour mesurer la qualité de l’eau. Le contrôle des eaux de collecte est pris en charge par la collectivité. C’est intégré dans l’abonnement au service des eaux. Une de mes activités est de gérer le service de qualité de l’eau des villages alentour. Depuis la réappropriation des communs par les communes, il y a eu des créations d'activités. Nous sommes 6 personnes pour traiter de ce sujet. Pour ma part, ma deuxième activité est de coordonner l'installation de systèmes de collecte d’eau, de traitement de l’eau, d’irrigation chez les particuliers ou dans les coopératives. J’entretiens aussi des tourbières. Je commence à stresser. Le 17 décembre, on a la réunion du conseil coopératif de la SCIC de gestion du réseau d'eau potable de la communauté de communes. Et, je n’ai rien fait sur le projet depuis un an. J’espère qu’ils ne vont pas m’en vouloir.

Il est bien loin le temps de la grande explosion de la collecte de l’eau et de l’obligation de collecter l’eau pour toute nouvelle construction. Maintenant, nous pouvons dire qu’il n’y a plus de pénurie d’eau en France.

Je suis arrivé dans la profession au moment de la généralisation de la phytoépuration dans toutes les campagnes. J’ai commencé par aider mon père à la mettre en place dans notre maison. C’était marrant de voir les plantes pousser et l’eau passer de bassin en bassin. Je me suis ensuite orienté vers des études d’ingénieur en préservation du vivant. Cela m’a passionné quand j’avais 20 ans. Les phytoépurations participaient à une prise conscience globale de notre empreinte sur l'environnement. Les eaux usées ne disparaissaient plus dans un tuyau qui s'en allait on ne sait où, dans une station d'épuration lointaine et abstraite. Elles s'écoulaient tout près de la maison. Les habitant(e)s se sentaient alors directement concernés par le volume des eaux rejetées, la qualité des produits d'entretien qu'ils y déversaient. Et donc tout le monde se sentait directement  partie prenante et motivé pour participer à la dépollution des eaux et des sols. J'ai adoré cette dynamique collective d'amélioration de la qualité de l'eau.

Depuis quelques mois, je ressens comme un mal-être. Je ne trouve plus de sens à ce que je fais. Je fonctionne comme par automatisme. Je ne comprends pas pourquoi. J’ai fait ce métier par passion. C’est vrai que, petit, les images entre 2030 et 2040 de gens mourant de soif et les récoltes perdues faute d’eau m'avaient heurté, touché. Juste après mes études, j’étais parti mettre en place des systèmes de stockage d’eau en Afrique. J’avais réalisé qu’ils ne m’avaient pas attendu pour inventer des solutions originales s’appuyant sur les matières premières locales. J’avais beaucoup appris techniquement et humainement. Je me souviens par exemple, au Niger, d’un système très simple et si ingénieux, de “demis-lunes”. Il s’agissait de creuser légèrement la terre, en forme de demi-lune, pour former une petite butte, qui retenait l’eau pendant la période des pluies. Lors de la sécheresse, on pouvait voir une végétation (certes maigres), mais présente sur ces petites zones. Elles se sont multipliées, permettant aux éleveurs de faire paître leur bétail. Peut-être qu’aujourd’hui je me sens moins vibrer dans cette activité, car la dynamique de départ fonctionne d’elle-même, les solutions sont durables, et je ressens moins mon utilité et les défis stimulants de mes débuts dans le domaine  ? 

Image by rony michaud

Jean-Christophe LÉONARD
23 novembre, 2021
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