Dimanche 28 novembre 2066, Anatole & Mathias, sortie en forêt

La p’tite sœur de Mathias nous a passé l’almanagora, pour notre sortie en forêt. Iolé a pensé que ce serait une bonne idée, d’écrire quelques mots dessus. Et Zoé m’a dit que ce serait bien de raconter des souvenirs de Mathias, comme il va bientôt s’appatrier vers Vancouver. On a râlé Mathias et moi, et finalement on a pris l’almanagora. Ça ne nous enchante pas trop de raconter notre vie là-dedans, mais on a promis à Zoé d’écrire un peu, alors… Alors voilà, comme toutes les semaines, une sortie en forêt est organisée dans le village. Avec Mathias on n’en a presque jamais loupé une. Tout petits, on adorait partir cueillir des champignons, faire des cabanes, observer les p’tites bêtes, s’inventer des histoires, se faire peur, choisir des beaux bâtons, et le truc qu’on préférait par-dessus tout, c’est descendre sur les berges de la rivière, et fabriquer des petites embarcations avec tout ce que l’on trouvait : écorce d’arbre, mousse, houx, feuilles, branches. On a fabriqué de ces engins ! Qu’on voyait s’éloigner au loin pour les plus chanceux ou couler sous nos yeux pour les plus malchanceux. On a grandi et on continue de participer à ces sorties, maintenant on aide et on conseille les petits. On leur montre comment se servir des canifs sans se blesser, quelles plantes nous pouvons consommer. Aujourd’hui, malgré la pluie, on était nombreux. Les petits étaient drôles avec leurs capes de toutes les couleurs. Jules, le petit frère de Mathias, avait une cape en forme d’écureuil, et sa copine, elle avait une cape de pluie de super héros. Impossible de les perdre avec cet attirail. Comme on n’observait pas les animaux, on avait moins besoin de camouflage. Mais avec Mathias, on la joue discret en général, dans la forêt, on s’habille en couleur vert, marron, on se fond dans le paysage. Donc on est partis sur le sentier des sapins, un gamin a proposé d’aller à la rivière, ce matin. Avec la pluie, il y avait du débit. Et quitte à être mouillés, pourquoi ne pas faire un barrage ? On a avancé, avec nos bottes et notre bonne humeur, jusqu’au passage de l’ancien pont. Celui-ci s’était écroulé pendant les grandes inondations de 1957. Il n’en restait pas grand-chose, à part un endroit assez dégagé où il nous arrive de nous baigner, l’été. Un bon endroit pour construire notre barrage. On a commencé par une grande improvisation, chacun portait ce qu’il pouvait comme pierres, et tentait d’endiguer le flot continu d’eau. On ne s'entendait pas très bien, avec le bruit de l’eau. Les petits pleuraient parfois à force de voir leurs cailloux débarouler et se faire entraîner par le débit de l’eau. Ça ne marchait pas ! Trop d’eau, à cette période… Il fallait rester humble. Et puis je voyais bien que les plus jeunes avaient envie de nous lâcher la main, mais c’était trop risqué, vu le niveau de l’eau. Un des petits garçons, Joan, était inconsolable. Il hurlait de désespoir. Faut dire qu’on avait beaucoup parlé sur la route vers la rivière, de tout ce qu’on peut faire grâce à un barrage : de l’électricité, moudre la farine… Il y croyait tellement ! On a fait une pause, sur la berge. On s’est rassemblés autour de Joan, et chacun a tenté de lui faire penser à autre chose. Il était encore très triste et très fâché. « Je veux que l’eau arrête de descendre ! Je veux arrêter l’eau ! ». Il hurlait. Finalement, c’est Jules, qui nous a sauvés, il a demandé à Joan : « mais au fait, pourquoi elle descend, l’eau ? ». Avec Mathias, on s’est regardés, bingo ! C’est un sujet qu’on a beaucoup étudié l’an passé. Aurélien, le père de Mathias nous avait pas mal aidés sur la partie traitement et distribution des eaux pour la consommation. En plus le soleil est arrivé, on s’est posé sur les pierres plates. On a fait sécher toutes les petites capes. On a sorti le goûter pour tout le monde, et on a commencé à expliquer pourquoi l’eau descendait. Les petits écoutaient avec attention, et posaient plein de questions. Mathias leur a expliqué que les rivières viennent de la pluie et de la fonte des neiges (et des larmes des petits enfants, pour faire rigoler Joan). Ça marchait, ses larmes commençaient à sécher, comme la pluie sur nos habits. L’eau s’écoule vers le bas, tout d’abord en très petits filets d’eau. Puis ces petits filets se rejoignent pour former des ruisseaux, qui vont former des cours d’eau plus importants qui finalement rejoindront à leur tour des fleuves qui se jetteront finalement dans la mer. « Et après ? », a demandé le petit Joan qui ne pleurait plus du tout. Après, au-dessus des mers, sous l’influence du soleil, l’eau s’évapore. Cette vapeur d’eau entraînée par les vents forme des nuages qui relâcheront ensuite la pluie sur les montagnes et, comme cela, tout recommence! Si un cours d’eau rencontre sur son chemin une dépression, il va la remplir et former un lac avant de ressortir à l’autre extrémité, là où l’altitude est la plus faible. Et voilà ! C’était chouette. Finalement, on s’en fichait de n’avoir pas réussi à barrer la route de l’eau, au moins tout le monde a compris qu’elle finirait bien par revenir dans ce grand cycle de l’eau.

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Marie Fidel
28 novembre, 2021
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