Bonjour l’almanagora. C’est tout bête, mais ce matin, je suis parti à pied de chez moi. Il me manquait du muesli pour mon p’tit déjeuner. En cheminant vers l’épicerie, mon bocal sous le bras, j’ai souri et je me suis souvenu comment l’épicerie s’était mise en place dans notre agora. Une histoire que je connais bien puisqu’elle est dans l’ADN de ma famille. Mes arrières-grands-parents tenaient une petite épicerie de quartier, à Lyon. Ils ont vu monter, grandir et gronder les supermarchés, les hypers, les mégas énormes centres commerciaux. De plus en plus gros, de plus en plus loin des villes. Au début, l’humour comme seule arme, ils avaient pour habitude de plaisanter : « les gens vont finir par se perdre et passer des jours entiers dans ces magasins sans trouver la porte de sortie. Ils vont rester coincés ! Pour acheter trois yaourts, ils vont finir par crever de faim en entassant dans leur cadis canne à pêche, ordinateur, cocotte minute, etc. Mais l’humour a fait place à l’écœurement, les gens changeaient de pratique et les supermarchés cassaient tellement les prix auprès des producteurs que les petites supérettes ne faisaient plus le poids côté prix… Mes arrières-grands-parents ne s’en sont pas remis, les commerces d’alimentation ont quitté les centres-ville, et se sont étendus, étendus. Tous sous des néons derrière un cadis… Et tous ces sacs plastiques ! Et toute cette nourriture ! Je n’ai que de rares flash des supermarchés de mon enfance. Mes parents nous y emmenaient, enfants, non sans la conscience qu’ils trahissaient leurs grands-parents qui, eux, avaient mis la clé sous la porte, retraite anticipée. Je me souviens des grandes allées alléchantes où nous, enfants, nous devenions fous face à cette montagne de jouets et de friandises. Le regard vide ou soucieux de mes parents quand ils choisissaient machinalement les produits, sans plus savoir ce qui était essentiel ou non. Ce fut d’ailleurs une des plus grandes absurdités révélées pendant la crise pandémique, distinguer les commerces essentiels des commerces non essentiels, pendant les confinements de population. J’avais 10 ans à l’époque et je me souviens qu’au super marché, on n’avait pas le droit d’acheter des ballons de baudruche pour mon anniversaire, le rayon était barré. Non essentiel. Quand j’y repense, c’est vrai que ce n’était pas très essentiel, tous ces bouts de plastique gonflés, mais à l’époque, un anniversaire sans ballon, c’était triste comme un frigo vide… Ce qui n’avait aucun sens, c’était d’interdire l’achat de livres et d’autoriser les achats en masse de malbouffe agro-industrielle. Face à ce malaise grandissant, mes parents essayaient les alternatives, le marché le samedi, les paniers en AMAP, les coopératives bio. Les initiatives étaient encore rares et chères, et pas toujours accessibles à de jeunes parents très occupés. La crise sanitaire a rapproché les producteurs des consommateurs. À un moment, les marchés étaient interdits tandis que les supermarchés tournaient à plein régime ! Heureusement, les gens ont organisé leurs propres alternatives et se sont rapprochés de leurs producteurs locaux. Ils avaient retrouvé un peu de temps et de jugeote. Les premiers camions vracs sont apparus comme cela au village. Mes parents en ont eu l’initiative justement, pendant la pandémie. Solidaires avec leurs voisins âgés, ils prenaient les commandes et organisaient des tournées chez les producteurs du coin, ici des légumes, là de la viande. Ils ne se sont pas arrêtés là, pour les produits manufacturés, un groupement d’achat s’est organisé pour acheter en gros et réduire les coûts. Un camion a été mutualisé au niveau de l’agora pour la vente de vrac des denrées non périssables. C’est comme cela que le vieux van est devenu l’emblème de cette nouvelle manière de consommer, dans l’agora. Il était orange vif et mes parents y avaient écrit “vracement bon”. Les gens venaient pour la première fois avec leurs bocaux, et payaient au poids. Et moi, j’accompagnais mes parents sur leur tournée qui commençait à s’organiser régulièrement aux mêmes endroits. Les boissons chaudes coulaient à flots, car les gens adoraient se retrouver dans leur hameau ou leur quartier autour du camion. On avait du mal à remballer, même par jour de pluie. J’ai des souvenirs joyeux de cette époque, moi et mon petit chien Pop Corn, qu’ils m’avaient offert pour me tenir compagnie quand les clients trop bavards éprouvaient ma patience. Des souvenirs bien plus joyeux que ceux des cadis remplis et regards vides des supermarchés de ma petite enfance. Voilà à quoi je pense quand je pars de chez moi avec mon bocal sous le bras, pour aller saluer Carole qui y est sans doute aujourd’hui !
Carole : Bingo, c’est bien moi qui suis d’épicerie aujourd’hui. Merci pour cette rétrospective Benoît, c’est vrai que tes parents avec leur camion ont beaucoup contribué à cette mouvance pour sortir des modes de consommations concentrés, jusqu’à la fin des supermarchés en 2050. C’est grâce à tous ces changements de consommation qu’ils ont fait faillite, remplacés par des plateformes locales d’approvisionnement. Comme nous avons aujourd’hui avec l’épicerie. Je vous laisse, je dois gérer les commandes en ligne et livrer les personnes à mobilité réduite entre midi et deux ! Bises.
P.S : Vous vous souvenez quand ils ont transformé le dernier supermarché de la région en salle de concert, il y a 16 ans ? C’était énorme !!!!