L’air est vif ce matin, l’hiver semble bien installé. Je ne sais pas pourquoi, je suis descendue à la rivière, pour boire mon café. J’avais les jambes un peu lourdes, et l’envie d’entendre chanter l’eau, en bas, malgré le froid mordant. En chemin, j’ai croisé Aurélien, mon voisin et son copain Pat. Un jeune homme les accompagnait. Il est arrivé récemment, c’est un correspondant canadien de Mathias, d’après ce que j’ai compris. Je ne le connais pas encore. Je crois qu’il va rester quelque temps pour un stage. Il s’est présenté, il s’appelle Lenny. Il me jette des regards en coin, il ne sait pas encore trop où il habite, mais j’espère qu’il va trouver sa place. Pour l’instant, il loge dans le dortoir, en haut du hangar. Ensuite, à l’atelier, s’il souhaite prolonger son passage, il aura le loisir de se fabriquer son petit nid, à base de récup’. Je suis curieuse de savoir ce qu’il va nous inventer ! Entre les bateaux, les cocons suspendus, les vieux wagons de train et carlingues de 4x4 des années 2030, les jeunes ont tant d’imagination ! Comme d’autres, il trouvera son petit coin, il restera ici le temps qu’il lui faudra, partager un bout de lui un bout de là et pour des autres… Donc je les ai salué, rapidement mais sans laisser traîner la causerie, je n’ai jamais été du matin, en 81 ans ! Tranquillement, je suis descendue vers la rivière, pas par le nouveau chemin. Je dis nouveau mais voilà déjà une paire de décennies qu’il s’est dessiné, forgé par les pieds des enfants et petits enfants. L’ancien chemin, celui que nous empruntions avec les gars quand ils étaient tous petits, à notre arrivée, en 2018, pour patouiller dans la rivière et se rafraîchir les mollets, l’été. On n’était pas toujours sereins quant à la qualité de l’eau, qui parfois présentait de la mousse. Apparemment une étude avait été faite mais bon… En bon né-ruraux que nous étions, on laissait cette pensée flotter comme un point d’interrogation embarrassant. Si bien qu’on n’a même pas réaliser que les truites étaient en train de disparaître, dans les années 2030. Un champignon introduit par l’homme les a décimées… Quand elles sont revenues il y a dix ans, quelle joie ! Les ingénieurs en eau comme Aurélien ont fait des miracles.
Me voilà donc clopin clopant vers la rivière. Il faut vraiment que j’aille voir Alice pour qu’elle me soulage… Je contourne le four à pain, commun du lieu-dit. Il fume encore du doux pain de cette nuit, ça sent la brioche chaude et les enfants de l’école croquent dedans à pleine dent. Quel bonheur, ce matin, de plonger dans la nature fraîche. Je sens mes tempes se réveiller, encore engourdies par les vestiges de la nuit. En descendant, je prends plaisir à observer les lueurs du jour qui percent à travers la canopée, et frappent ça et là la surface de la rivière en tâches scintillantes. La rive est craquelée par le gèle. Je m’amuse avec un bâton à casser la croûte formée à la surface gelée. Je réchauffe mes doigts en serrant ma tasse fumante. Avec un peu de chance, les loutres seront visibles… Elles ont beau avoir réapparu, elles ont tendance à remonter le cours d’eau depuis que notre lieu-dit s’est repeuplé… on est sans doute trop bruyants pour elles… Peut-être que les chiens les dérange un peu. Pourtant le labrador des voisins est si placide ! J’entend l’eau qui chante. Pas de loutre. Juste la lumière du soleil d’hiver qui me caresse la peau. Je souris. Et boit mon café. La journée s’annonce belle.
Crédit photo pêche