Bonjour l’agora. Page spéciale aujourd’hui, j’aimerais vous faire voyager jusqu’au Bénin. J’ai reçu un mail de l’agora de Ganvié, avec laquelle je corresponds depuis mon premier séjour au Bénin, quand j’avais 18 ans. Notamment avec Marcelin Gbagidi, mon ancien maître de stage. Pour vous situer un peu, Ganvié est une ville lacustre au milieu du lac de Nokoué, près de l’ancienne métropole de Cotonou. Il paraît que cette cité est née autour du 18e siècle, les premiers habitants ont construit des maisons sur pilotis au milieu du lac pour se protéger des esclavagistes.
Depuis, la cité a grandi, grandi pour atteindre un pic de 30 000 habitant(e)s dans les années 2020 et finalement redescendre à 10 000 habitant(e)s en 2067 à cause de l’impact des changements climatiques. je laisse la parole à Augustin :
« A fon gandia, Iolé, bonjour à toute l’agora.
Comment va ma petite griote locale et internationale ? Je suis si fier de toi, ton village t’a reconnue comme griote, c’est magnifique. Quand j’ai annoncé ça ici à notre griot, il a crié et sauté de joie. Tu le connais, c’est mon fils Vénance, il est très fou fou. Il m’a demandé si tu t’étais mise à la cora. Je te pose la question. Mais je crois que griot et griote chez toi, c’est surtout affaire de papier et de stylo, non ? Vénance, lui, il chante tous les soirs ce qu’il a entendu dans la journée. Autant de griots et griotes il y a que d’hommes et de femmes ! Et comment va ta maman Carole ? Et ton papa Malek ? Et tes cousins ? Et tes oncles et tante ? Et Marianne, elle va bien ? Ah, ça fait tellement longtemps qu’on ne s’est pas parlé. Je voulais te féliciter pour ta nouvelle fonction. Je suis sûr que tu vas être à la hauteur de cette tâche. N’oublie pas que tout ce qui peut être écrit dans l’almanagora rapprochera les hommes et les femmes qui le liront et rapprochera les générations. Le travail d’un griot est de tracer des ponts entre le passé et le futur et entre l’ailleurs et l’ici. C’est un fabuleux pouvoir.
Ici à Ganvié, ça va. Pour répondre à ta question, oui, c’est difficile, les grandes pluies ne se calment pas d’année en année et nous devons sans cesse revoir nos architectures pour rehausser les fondations des maisons. Nous devons parcourir de plus en plus de distance avec nos pirogues pour atteindre la rive, car le marécage s’est agrandi. Nous nous posons la question de rapprocher le cœur du village de Cotonou, pour faciliter les échanges de nourriture. Mais sinon, la pêche se maintient et c’est une bonne chose. Oui, comme tu me demandes, les enfants sont toujours d’aussi bons pagayeurs. Ils apprennent à pagayer avant de faire leurs premiers pas sur la terre ferme, toi-même tu sais ça. Alors, ça fait des blagues, on dit que nos enfants de Ganvié, quand ils marchent sur la terre ferme, ils tanguent. Mais moi ce que je pense, c’est que de grandir dans les eaux, ça nous apprend simplement à danser sur la terre. Et danser n’est pas tanguer. Et toi, la vie au village ça va ? Tu dois rentrer dans le vif de l’hiver, là. Ma petite, je t’imagine avec le bonnet bien chaud tricoté par Marianne, celui que tu portais sur la photo que tu nous as envoyée. Moi je continue à pêcher et à apprendre aux jeunes à pêcher et réparer les filets et les voiles. Maman Gbagidi t’embrasse, elle dit que tu ne viens plus ici au Bénin nous voir, elle est fâchée (rires !). On est en fête, parce que c’est notre tour de tontine. La tontine, nous on a toujours fait ça ici. Quand je pense que les yovos sont venus un jour nous demander de leur apprendre cette idée, pour remplacer leurs grosses banques, ça me fait rire ! Pas besoin d’une grande banque pour financer. Il suffit de se regrouper, et de tous mettre un peu d’argent dans un pot commun. Chacun son tour, chaque mois, peut prendre la tontine pour financer quelque chose. Nous, avec maman Adjovi, on va pouvoir payer le voyage de Prisca. Elle va faire un apatriage aux États-Unis. Je ne sais pas si elle verra Mathias là-bas, tu vas m’expliquer où il est parti exactement. Mais ce que je crois, c’est qu’elle ne reviendra pas avant deux ans. Je suis triste et joyeux à la fois, car je sais qu’elle rêve de travailler là-bas et de rejoindre son frère. J’espère aller les visiter un jour… Ma petite dernière va me manquer, tu sais comment je suis, comme vieux père.
Bon je te laisse Iolé, je dois aller aider le piroguier chargé du ramassage, c’est mon tour de pagayer pour recueillir les choses à recycler. Je te dis à bientôt ma petite Iolé, et envoie-moi quelques pages de ton almanagora ça me fera voyager un peu. Embrasse tes parents et dis-leur que le cousin de Malek doit venir au Bénin le mois prochain, il faudra qu’il passe nous voir.
Bien des choses à toute l’agora,
Edabo !
Crédit photo 1 Agbeko Masseme
Crédit photo 2 Joseph Keyser