Salut l’agora,
Je suis content de venir écrire ici, Iolé m’a parlé de votre fonctionnement et de ce journal collectif je trouve cela étonnant. On fonctionne un peu différemment, à Vaulx-en-Velin, d’où je viens, près de Lyon. Iolé m’a proposé de raconter un peu ce que je vis là-bas. Déjà, je voulais me présenter, parce que tout le monde ne me connaît pas ici. Je suis Nathan, le neveu de Madina et Félix, qui se sont installés ici au village juste avant ma naissance, en 2048. Avant, ils vivaient à Vaulx-en-Velin aussi, juste à côté de mes parents. Il parait que ma mère a tellement pleuré quand sa sœur Madina est partie à la campagne, « le bout du monde ! », elle disait. Mais comme elle est très émotive et adore romancer les choses, je me demande si elle n'a pas un peu dramatisé la situation ! La cité chez nous a tellement évolué, il parait, depuis les années 2020-2030. En fait pleins de gens ont quitté la ville pour aller s’installer à la campagne. La pollution, les transports saturés, les pénuries, les besoins de soutien pour l'agriculture paysanne… ça devenait coûteux en termes d’argent et de bien-être d’habiter en ville. Et avec ces gens qui ont quitté les villes et les périphéries, il y a eu d’abord un moment de flottement… Que faire des logements vides ? Les mailles du tissu social et économique étaient un peu lâches. Les villes ressemblaient à des habits trop grands, dit souvent mon père en plaisantant. Moi, je n’ai pas connu tout ça, la mauvaise image des banlieux. Mes parents me disaient que les cités avaient été construites très vite dans la deuxième moitié du 20e siècle, pour reloger rapidement les gens après la guerre, pour accueillir la main-d’œuvre immigrée précaire qui arrivait en nombre. Du coup, c’était des logements moches, bâtis à la va-vite, mal conçus, au moindre coût. Les HLM. Les logements sociaux. Ça m’étonne toujours, ce mot « social » comme il était utilisé, avant. C’était un mot qui était connoté un peu comme « démuni », « pauvre ». En tout cas, un logement social c’était pas glorieux à l’époque. Finalement on s’est bien réapproprié ce mot ! Car c’est sûr que je vis dans des logements sociaux aujourd’hui et je suis super content ! En fait, Vaulx-en-Velin, je ne veux jamais en partir ! J’y suis trop bien. J’adore venir ici chez tonton et tata, ils sont trop bien ici en pleine nature, mais franchement je ne pourrais pas lâcher ma cité plus d’une semaine. On ne s'ennuie jamais. Il y a tous les jours de la danse, de la musique, de l’art vertical et horizontal à grande échelle, des initiatives. Petit à petit, on est devenu un lieu culturel assez rayonnant. Et c’est marrant de voir comme tous les danseurs street internationaux cherchent à habiter à Vaulx maintenant. D’ailleurs je fais une petite représentation à l’Agora ce soir si vous voulez découvrir et vous initier à la danse « Xaul » qu’on développe avec mon collectif. Alors que vous dire sur ma cité chérie ? Qu’elle est de toutes les couleurs, qu’on y cultive de grands jardins et de grandes amitiés, que la population est très jeune et hétéroclite, c’est vrai on explose tous les scores de naissance, les gens doivent s’y sentir bien ! C’est une ambiance, un monde, un langage. Mon père ne s’y est pas toujours fait, je crois, au changement de vent, passé le temps d’exode urbain, il y a eu des interrogations et des plans de rénovation sur ces bâtiments vides… Et puis des associations se sont montées, des idées détournées, des tiers lieux fantastiques, ça a attiré une population un peu plus aisée, cela a bousculé tout le monde. Il y avait quelques clivages, quelques tensions, il a fallu que toutes ces cultures différentes s’apprivoisent. Les gens fuyaient l’hyper centre pour venir habiter dans ces endroits « in » et branchés des quartiers. De nouveaux centres de gravité se dessinaient. Mon père, comme beaucoup de personnes nées dans les années 2010, se sentait un peu perdu. Son territoire s’ouvrait à tous les vents, ça donnait le vertige. Après, ça ne s’est pas passé partout comme ça. Certaines cités ont été désertées humainement, les gens sont partis massivement, par communauté, par familles, pour s’installer ou fonder de nouvelles agoras sur des territoires moins bitumés. Faute de moyens, les bâtiments sont restés à l’abandon longtemps, comme à la Duchère par exemple. Squattés par des bandes de mafieux, ils sont restés quelque temps des endroits de non-droit, ou des lieux de refuges pour les “sans”... Sans abris, sans papier des années 2000.... Certaines cités sont devenus tristement célèbres pour la concentration de personnes drogués qu’elles généraient. Mais certains projets ont émergé, certaines zones ont été dépolluées et la nature a été invitée. Forêts urbaines, terres d’élevage, de culture, à petite échelle. Petit à petit. La nature a fait le travail. Et a adouci certaines mœurs. Apaisé quelques tensions. Donné un peu de sens… Bon en parlant de ça, moi c’est pas trop mon truc, de cultiver des légumes, mais tonton et tata insistent lourdement, c’est l’objectif de ma famille, que je quitte un peu la street pour me connecter à la verdure alors j’y vais, ils ont besoin de moi au jardin. Salut à tous et à ce soir pour ambiancer un peu la place ! J’ai un bon son à vous faire découvrir.
Félix : Merci Nathan pour ce témoignage, je me demandais ce que tu faisais, on t’attend au jardin en effet ;) J’avoue que j’ai parfois la nostalgie de Vaulx-en-Velin. Est-ce que ton père s’est mis à la danse au fait ? Ah ah je le taquine tout le temps là-dessus. Il aurait dû aller vivre dans la cité de Bois-du-Château, en Bretagne, qui est devenu un pôle impressionnant sur l’innovation des low tech ! Lui qui est si passionné par le sujet, plus que par le rythme, ah ah !
Marie FIDEL